Notre année théâtrale 2015 s'est terminée vendredi soir avec
la pièce de Jean-Paul Sartre "Huis clos" , jouée devant plus
de 70 personnes dans le salon de la Mairie de Ancy qui avait
affiché complet pour cette représentation. Nous nous
sommes fait une nouvelle fois plaisir avec le texte et le jeu de
scène pour le plus grand bonheur du public présent.
Les représentations publiques de L'Autre Scène reprendront
le 9 janvier 2016 avec "Huis clos" à Failly-Vrémy, un village
situé à 10 km de Metz vers la route de Bouzonville.
"HUIS CLOS" de Jean-Paul Sartre à la Mairie de
ANCY-SUR-MOSELLE
VENDREDI 2 DECEMBRE à 20h30
"HUIS CLOS" de Jean-Paul Sartre au Foyer communal de Lorry-Lès-Metz
VENDREDI 27 NOVEMBRE à 20h30
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Article du Républicain Lorrain (20/11/2015) |
Reprise des répétitions de "Huis clos" de Jean-Paul Sartre avant les représentations programmées vendredi 27 novembre à Lorry-Lès-Metz et vendredi 4 décembre à Ancy-sur-Moselle.
"Huis clos" de Jean-Paul Sartre
« Trois
personnages se retrouvent en enfer. Garcin, journaliste-publiciste, Inès,
employée des Postes et Estelle, une riche mondaine. Ils ne se connaissent pas,
viennent de milieux très différents, ne partagent ni les mêmes convictions ni
les mêmes goûts. Ils
vont se livrer un combat de mots où ils s'interrogent sur leur damnation et se
cachent sous le masque de la "mauvaise foi". Un
procès à huis clos dans lequel il n'y a ni bourreau, ni instruments de torture
physique puisque « l'enfer, c'est les autres ». Mais ce n’est pas si
simple. Car si le regard d'autrui est une menace, chacun a besoin de
l'autre pour exister, prendre conscience de soi et se réaliser. La violence, l'humour, le désespoir et la révolte
traversent cette pièce à la mécanique diabolique et implacable »
Avec :
-
Jean-Luc L’HÔTE
-
Marie-Jo DAL POZZOLO
- Michel OLESINSKI
Mise
en scène :
Anne
CLAUSSE-WEINBERG
Durée :
1h20 sans entracte
***
Jean-Paul SARTRE à propos de "Huis clos"
***
Jean-Paul SARTRE à propos de "Huis clos"
Quand on écrit une pièce, il y a toujours
des causes occasionnelles et des soucis profonds. La cause occasionnelle c'est
que, au moment où j'ai écrit Huis clos, vers 1943 et début 44,
j'avais trois amis et je voulais qu'ils jouent une pièce, une pièce de moi,
sans avantager aucun d'eux. C'est-à-dire, je voulais qu'ils restent ensemble
tout le temps sur la scène. Parce que je me disais que s'il y en a un qui s'en
va, il pensera que les autres ont un meilleur rôle au moment où il s'en va. Je
voulais donc les garder ensemble. Et je me suis dit, comment peut-on mettre
ensemble trois personnes sans jamais en faire sortir l'une d'elles et les
garder sur la scène jusqu'au bout, comme pour l'éternité. C'est là que m'est
venue l'idée de les mettre en enfer et de les faire chacun le bourreau des deux
autres. Telle est la cause occasionnelle. Par la suite, d'ailleurs, je dois
dire, ces trois amis n'ont pas joué la pièce, et comme vous le savez, c'est
Michel Vitold, Tania Balachova et Gaby Sylvia qui l'ont jouée.
Mais il y avait à ce moment-là des soucis
plus généraux et j'ai voulu exprimer autre chose dans la pièce que, simplement,
ce que l'occasion me donnait. J'ai voulu dire « l'enfer c'est les
autres ». Mais « l'enfer c'est les
autres » a été toujours mal compris. On a cru que je voulais dire par là
que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c'était
toujours des rapports infernaux. Or, c'est tout autre chose que je veux dire.
Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l'autre
ne peut être que l'enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont, au fond,
ce qu'il y a de plus important en nous-mêmes, pour notre propre connaissance de
nous-mêmes. Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître,
au fond nous usons des connaissances que les autres ont déjà sur nous, nous
nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné, de nous juger.
Quoi que je dise sur moi, toujours le jugement d'autrui entre dedans. Quoi que
je sente de moi, le jugement d'autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si
mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d'autrui et
alors, en effet, je suis en enfer. Et il existe une quantité de gens dans le
monde qui sont en enfer parce qu'ils dépendent trop du jugement d'autrui. Mais
cela ne veut nullement dire qu'on ne puisse avoir d'autres rapports avec les
autres, ça marque simplement l'importance capitale de tous les autres pour
chacun de nous.
Deuxième chose que je voudrais dire, c'est
que ces gens ne sont pas semblables à nous. Les trois personnes que vous
entendrez dans Huis clos ne nous ressemblent pas en ceci que nous
sommes tous vivants et qu'ils sont morts. Bien entendu, ici,
« morts » symbolise quelque chose. Ce que j'ai voulu indiquer, c'est
précisément que beaucoup de gens sont encroûtés dans une série d'habitudes, de
coutumes, qu'ils ont sur eux des jugements dont ils souffrent mais qu'ils ne
cherchent même pas à changer. Et que ces gens-là sont comme morts, en ce sens
qu'ils ne peuvent pas briser le cadre de leurs soucis, de leurs préoccupations
et de leurs coutumes et qu'ils restent ainsi victimes souvent des jugements que
l'on a portés sur eux.
À partir de là, il est bien évident qu'ils
sont lâches ou méchants. Par exemple, s'ils ont commencé à être lâches, rien ne
vient changer le fait qu'ils étaient lâches. C'est pour cela qu'ils sont morts,
c'est pour cela, c'est une manière de dire que c'est une « mort
vivante » que d'être entouré par le souci perpétuel de jugements et
d'actions que l'on ne veut pas changer.
De sorte que, en vérité, comme nous sommes
vivants, j'ai voulu montrer, par l'absurde,
l'importance, chez nous, de la liberté, c'est-à-dire l'importance de changer
les actes par d'autres actes. Quel que soit le cercle d'enfer dans lequel nous
vivons, je pense que nous sommes libres de le briser. Et si les gens ne le
brisent pas, c'est encore librement qu'ils y restent. De sorte qu'ils se
mettent librement en enfer.
Vous voyez donc que « rapport avec
les autres », « encroûtement » et « liberté », liberté
comme l'autre face à peine suggérée, ce sont les trois thèmes de la pièce.
Je voudrais qu'on se le rappelle quand
vous entendrez dire... « L'enfer c'est les autres ».
Je tiens à ajouter, en terminant, qu'il
m'est arrivé en 1944, à la première représentation, un très rare bonheur, très
rare pour les auteurs dramatiques : c'est que les personnages ont été
incarnés de telle manière par les trois acteurs, et aussi par Chauffard, le
valet d'enfer, qui l'a toujours jouée depuis, que je ne puis plus me représenter
mes propres imaginations autrement que sous les traits de Michel Vitold, Gaby
Sylvia, de Tania Balachova et de Chauffard. Depuis, la pièce a été rejouée par
d'autres acteurs, et je tiens en particulier à dire que j'ai vu Christiane
Lenier, quand elle l'a jouée, et que j'ai admiré quelle excellente Inès elle a
été.
L'existence précède l'essence
Est-ce qu'au fond, ce qui fait peur, dans
la doctrine que je vais essayer de vous exposer, ce n'est pas le fait qu'elle
laisse une possibilité de choix à l'homme ? Pour le savoir, il faut que
nous revoyions la question sur un plan strictement philosophique.
Qu'est-ce qu'on appelle
existentialisme ? La plupart des gens qui utilisent ce mot seraient bien
embarrassés pour le justifier, puisque aujourd'hui [1945],
que c'est devenu une mode, on déclare volontiers qu'un musicien ou qu'un
peintre est existentialiste. Un échotier de Clartés signe l'Existentialiste ;
et au fond le mot a pris aujourd'hui une telle largeur et une telle extension qu'il
ne signifie plus rien du tout. Il semble que, faute de doctrine d'avant-garde
analogue au surréalisme, les gens avides de scandale et de mouvement
s'adressent à cette philosophie, qui ne peut d'ailleurs rien leur apporter dans
ce domaine ; en réalité c'est la doctrine la moins scandaleuse, la plus
austère ; elle est strictement destinée aux techniciens et aux
philosophes. Pourtant, elle peut se définir facilement. Ce qui rend les choses
compliquées, c'est qu'il y a deux espèces
d'existentialistes : les premiers, qui sont chrétiens, et parmi lesquels
je rangerai Jaspers et Gabriel Marcel, de
confession catholique ; et, d'autre part, les existentialistes athées
parmi lesquels il faut ranger Heidegger, et aussi
les existentialistes français et moi-même. Ce qu'ils ont en commun, c'est
simplement le fait qu'ils estiment que l'existence précède l'essence,
ou, si vous voulez, qu'il faut partir de la subjectivité. Que faut-il au
juste entendre par là ? Lorsqu'on considère un objet fabriqué, comme par
exemple un livre ou un coupe-papier, cet objet a été fabriqué par un artisan
qui s'est inspiré d'un concept ; il s'est référé au concept de
coupe-papier, et également à une technique de production préalable qui fait
partie du concept, et qui est au fond une recette. Ainsi, le coupe-papier est à
la fois un objet qui se produit d'une certaine manière et qui, d'autre part, a
une utilité définie, et on ne peut pas supposer un homme qui produirait un
coupe-papier sans savoir à quoi l'objet va servir. Nous dirons donc que, pour le coupe-papier, l'essence — c'est-à-dire l'ensemble
des recettes et des qualités qui permettent de le produire et de le
définir — précède l'existence ; et ainsi la présence, en face de moi,
de tel coupe-papier ou de tel livre est déterminée. Nous avons donc là une
vision technique du monde, dans laquelle on peut dire que la production précède
l'existence.
Lorsque nous concevons un Dieu créateur,
ce Dieu est assimilé la plupart du temps à un artisan supérieur ; et
quelle que soit la doctrine que nous considérions, qu'il s'agisse d'une
doctrine comme celle de Descartes ou de la doctrine de Leibniz, nous admettons toujours que la
volonté suit plus ou moins l'entendement, ou tout au moins l'accompagne, et que
Dieu, lorsqu'il crée, sait précisément ce qu'il crée. Ainsi, le concept
d'homme, dans l'esprit de Dieu, est assimilable au concept de coupe-papier dans
l'esprit de l'industriel ; et Dieu produit l'homme suivant des techniques
et une conception, exactement comme l'artisan fabrique un coupe-papier suivant
une définition et une technique. Ainsi l'homme individuel réalise un certain
concept qui est dans l'entendement divin. Au XVIIIe
siècle, dans l'athéisme des philosophes, la notion de Dieu est supprimée, mais
non pas pour autant l'idée que l'essence précède l'existence. Cette idée, nous
la retrouvons un peu partout : nous la retrouvons chez Diderot, chez Voltaire, et même chez Kant. L'homme est possesseur d'une nature humaine ;
cette nature humaine, qui est le concept humain, se retrouve chez tous les
hommes, ce qui signifie que chaque homme est un exemple particulier d'un
concept universel, l'homme ; chez Kant, il résulte de cette universalité que l'homme des
bois, l'homme de la nature, comme le bourgeois sont astreints à la même définition
et possèdent les mêmes qualités de base. Ainsi, là encore, l'essence d'homme
précède cette existence historique que nous rencontrons dans la nature.
L'existentialisme athée, que je
représente, est plus cohérent. Il déclare que si Dieu n'existe pas, il y a au
moins un être chez qui l'existence précède l'essence, un être qui existe avant
de pouvoir être défini par aucun concept et que cet être c'est l'homme ou,
comme dit Heidegger, la réalité humaine. Qu'est-ce que signifie ici que l'existence précède
l'essence ? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se
rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après.
L'homme, tel que le conçoit
l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien.
Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait. Ainsi, il n'y a pas
de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir.
L'homme est seulement, non seulement tel qu'il se conçoit, mais tel qu'il se
veut, et comme il se conçoit après l'existence, comme il se veut après cet élan
vers l'existence ; l'homme n'est rien d'autre que
ce qu'il se fait. Tel est le premier principe de l'existentialisme.
C'est aussi ce qu'on appelle la
subjectivité, et que l'on nous reproche sous ce nom même. Mais que voulons-nous
dire par là, sinon que l'homme a une plus grande dignité que la pierre ou que
la table ? Car nous voulons dire que l'homme
existe d'abord, c'est-à-dire que l'homme est d'abord ce qui se jette vers un
avenir, et ce qui est conscient de se projeter dans l'avenir. L'homme est
d'abord un projet qui se vit subjectivement, au lieu d'être une mousse,
une pourriture ou un chou-fleur ; rien n'existe préalablement à ce
projet ; rien n'est au ciel intelligible, et l'homme sera d'abord ce qu'il
aura projeté d'être. Non pas ce qu'il voudra être. Car ce que nous entendons
ordinairement par vouloir, c'est une décision consciente, et qui est pour la
plupart d'entre nous postérieure à ce qu'il s'est fait lui-même. Je peux
vouloir adhérer à un parti, écrire un livre, me marier, tout cela n'est qu'une
manifestation d'un choix plus originel, plus spontané que ce qu'on appelle
volonté. Mais si vraiment l'existence précède
l'essence, l'homme est responsable de ce qu'il est. Ainsi, la première démarche
de l'existentialisme est de mettre tout homme en possession de ce qu'il est et
de faire reposer sur lui la responsabilité totale de son existence.
Ma volonté engage l'humanité entière
Ainsi, notre responsabilité est beaucoup
plus grande que nous ne pourrions le supposer, car elle engage l'humanité
entière. Si je suis ouvrier, et si je choisis d'adhérer à un syndicat chrétien
plutôt que d'être communiste, si, par cette adhésion, je veux indiquer que la
résignation est au fond la solution qui convient à l'homme, que le royaume de
l'homme n'est pas sur la terre, je n'engage pas seulement mon cas : je
veux être résigné pour tous, par conséquent ma démarche a engagé l'humanité
tout entière. Et si je veux, fait plus
individuel, me marier, avoir des enfants, même si ce
mariage dépend uniquement de ma situation, ou de ma passion, ou de mon désir,
par là j'engage non seulement moi-même, mais l'humanité tout entière sur la
voie de la monogamie. Ainsi je suis responsable pour moi-même et pour
tous, et je crée une certaine image de l'homme que je choisis ; en me
choisissant, je choisis l'homme.
L'angoisse et la mauvaise foi
Ceci nous permet de comprendre ce que
recouvrent des mots un peu grandiloquents comme angoisse,
délaissement, désespoir. Comme vous allez voir, c'est
extrêmement simple. D'abord, qu'entend-on par angoisse ?
L'existentialiste déclare volontiers que l'homme est angoisse. Cela signifie
ceci : l'homme qui s'engage et qui se rend compte
qu'il est non seulement celui qu'il choisit d'être, mais encore un législateur
choisissant en même temps que soi l'humanité entière, ne saurait échapper au
sentiment de sa totale et profonde responsabilité. Certes, beaucoup de
gens ne sont pas anxieux ; mais nous prétendons qu'ils se masquent leur
angoisse, qu'ils la fuient ; certainement, beaucoup de gens croient en
agissant n'engager qu'eux-mêmes, et lorsqu'on leur dit : « mais
si tout le monde faisait comme ça ? » ils haussent les
épaules et répondent : « tout le monde ne fait pas comme ça. »
Mais en vérité, on doit toujours se demander : qu'arriverait-il
si tout le monde en faisait autant ? Et on n'échappe à cette
pensée inquiétante que par une sorte de mauvaise foi. Celui qui
ment et qui s'excuse en déclarant : tout le monde ne fait pas comme ça,
est quelqu'un qui est mal à l'aise avec sa conscience, car le fait de mentir
implique une valeur universelle attribuée au mensonge. Même lorsqu'elle se
masque l'angoisse apparaît. C'est cette angoisse que Kierkegaard appelait l'angoisse d'Abraham.
Vous connaissez l'histoire : Un ange
a ordonné à Abraham de sacrifier son fils : tout va bien si c'est vraiment
un ange qui est venu et qui a dit : tu es Abraham, tu sacrifieras ton
fils. Mais chacun peut se demander, d'abord, est-ce que c'est bien un ange, et
est-ce que je suis bien Abraham ? Qu'est-ce qui me le prouve ? Il y
avait une folle qui avait des hallucinations : on lui parlait par
téléphone et on lui donnait des ordres. Le médecin lui demanda : « Mais
qui est-ce qui vous parle ? » Elle répondit : « Il
dit que c'est Dieu. » Et qu'est-ce qui lui prouvait, en effet, que
c'était Dieu ? Si un ange vient à moi, qu'est-ce qui prouve que c'est un
ange ? Et si j'entends des voix, qu'est-ce qui prouve qu'elles viennent du
ciel et non de l'enfer, ou d'un subconscient, ou d'un état pathologique ?
Qui prouve qu'elles s'adressent à moi ? Qui
prouve que je suis bien désigné pour imposer ma conception de l'homme et mon
choix à l'humanité ? Je ne trouverai jamais aucune preuve, aucun signe
pour m'en convaincre. Si une voix s'adresse à moi, c'est toujours moi
qui déciderai que cette voix est la voix de l'ange ; si je considère que
tel acte est bon, c'est moi qui choisirai de dire que cet acte est bon plutôt
que mauvais. Rien ne me désigne pour être Abraham, et pourtant je suis obligé à
chaque instant de faire des actes exemplaires. Tout se
passe comme si, pour tout homme, toute l'humanité avait les yeux fixés sur ce
qu'il fait et se réglait sur ce qu'il fait. Et chaque homme doit se dire :
suis-je bien celui qui a le droit d'agir de telle sorte que l'humanité se règle
sur mes actes ? Et s'il ne se dit pas cela, c'est qu'il se masque
l'angoisse. Il ne s'agit pas là d'une angoisse qui conduirait au
quiétisme, à l'inaction. Il s'agit d'une angoisse simple, que tous ceux qui ont
eu des responsabilités connaissent. Lorsque, par exemple, un chef militaire
prend la responsabilité d'une attaque et envoie un certain nombre d'hommes à la
mort, il choisit de le faire, et au fond il choisit seul. Sans doute il y a des
ordres qui viennent d'en haut, mais ils sont trop larges et une interprétation
s'impose, qui vient de lui, et de cette interprétation dépend la vie de dix ou
quatorze ou vingt hommes. Il ne peut pas ne pas avoir, dans la décision qu'il
prend, une certaine angoisse.
Tous les chefs connaissent cette angoisse.
Cela ne les empêche pas d'agir, au contraire, c'est la condition même de leur
action ; car cela suppose qu'ils envisagent une pluralité de possibilités,
et lorsqu'ils en choisissent une, ils se rendent compte qu'elle n'a de valeur
que parce qu'elle est choisie. Et cette sorte
d'angoisse, qui est celle que décrit l'existentialisme, nous verrons qu'elle
s'explique en outre par une responsabilité directe vis-à-vis des autres hommes
qu'elle engage. Elle n'est pas un rideau qui nous séparerait de
l'action, mais elle fait partie de l'action même.
L'homme est condamné à être libre
Et lorsqu'on
parle de délaissement, expression chère à Heidegger, nous
voulons dire seulement que Dieu n'existe pas, et qu'il faut en tirer jusqu'au
bout les conséquences. L'existentialiste est très opposé à un certain type de
morale laïque qui voudrait supprimer Dieu avec le moins de frais possible.
Lorsque, vers 1880, des professeurs
français essayèrent de constituer une morale laïque, ils dirent à peu près
ceci : Dieu est une hypothèse inutile et coûteuse, nous la supprimons,
mais il est nécessaire cependant, pour qu'il y ait une morale, une société, un
monde policé, que certaines valeurs soient prises au sérieux et considérées
comme existant a priori ; il faut qu'il soit obligatoire a
priori d'être honnête, de ne pas mentir, de ne pas battre sa femme, de
faire des enfants, etc., etc.. Nous allons donc faire un petit travail qui
permettra de montrer que ces valeurs existent tout de même, inscrites dans un
ciel intelligible, bien que, par ailleurs, Dieu n'existe pas. Autrement dit, et
c'est, je crois, la tendance de tout ce qu'on appelle en France le radicalisme,
rien ne sera changé si Dieu n'existe pas ; nous retrouverons les mêmes
normes d'honnêteté, de progrès, d'humanisme, et nous aurons fait de Dieu une
hypothèse périmée qui mourra tranquillement et d'elle-même.
L'existentialiste,
au contraire, pense qu'il est très gênant que Dieu
n'existe pas, car avec lui disparaît toute possibilité de trouver des valeurs
dans un ciel intelligible ; il ne peut plus y avoir de bien a
priori, puisqu'il n'y a pas de conscience infinie et parfaite pour le
penser ; il n'est écrit nulle part que le bien existe, qu'il faut être
honnête, qu'il ne faut pas mentir, puisque précisément nous sommes sur un plan
où il y a seulement des hommes. Dostoïevsky avait écrit : « Si
Dieu n'existait pas, tout serait permis. » C'est là le point de
départ de l'existentialisme. En effet, tout est permis si Dieu n'existe pas, et
par conséquent l'homme est délaissé, parce qu'il ne trouve ni en lui, ni hors
de lui une possibilité de s'accrocher. Il ne trouve d'abord pas d'excuses. Si,
en effet, l'existence précède l'essence, on ne pourra jamais expliquer par
référence à une nature humaine donnée et figée ; autrement dit, il n'y a pas de déterminisme, l'homme est libre, l'homme est
liberté. Si, d'autre part, Dieu n'existe pas, nous ne trouvons pas en
face de nous des valeurs ou des ordres qui légitimeront notre conduite. Ainsi,
nous n'avons ni derrière nous, ni devant nous, dans le domaine lumineux des
valeurs, des justifications ou des excuses. Nous sommes seuls, sans excuses.
C'est ce que j'exprimerai en disant que l'homme est
condamné à être libre. Condamné, parce
qu'il ne s'est pas créé lui-même, et par ailleurs cependant libre, parce qu'une
fois jeté dans le monde, il est responsable de tout ce qu'il fait.
L'existentialiste ne croit pas
à la puissance de la passion. Il ne pensera jamais qu'une belle passion est un
torrent dévastateur qui conduit fatalement l'homme à certains actes, et qui,
par conséquent, est une excuse. Il pense que l'homme est responsable de sa
passion. L'existentialiste ne pensera pas non plus que l'homme peut trouver un
secours dans un signe donné, sur terre, qui l'orientera ; car il pense que
l'homme déchiffre lui-même le signe comme il lui plaît. Il pense donc que l'homme,
sans aucun appui et sans aucun secours, est condamné à chaque instant à
inventer l'homme.
Le désespoir
Quant au désespoir,
cette expression a un sens extrêmement simple. Elle veut dire que nous nous bornerons à compter sur ce qui dépend de notre
volonté, ou sur l'ensemble des probabilités qui rendent notre action possible.
Quand on veut quelque chose, il y a
toujours des éléments probables. Je puis compter sur la venue d'un ami. Cet ami
vient en chemin de fer ou en tramway ; cela suppose que le chemin de fer
arrivera à l'heure dite, ou que le tramway ne déraillera pas. Je reste dans le
domaine des possibilités ; mais il ne s'agit de compter sur les possibles
que dans la mesure stricte où notre action comporte l'ensemble de ces
possibles. À partir du moment où les possibilités que
je considère ne sont pas rigoureusement engagées par mon action, je dois m'en
désintéresser, parce qu'aucun Dieu, aucun dessein ne peut adapter le monde et
ses possibles à ma volonté. Au fond, quand Descartes disait : « Se
vaincre plutôt soi-même que le monde », il voulait dire la même
chose : agir sans espoir.
***
La prochaine représentation de
aura lieu
SAMEDI 14 NOVEMBRE 2015
16h 30
à
LONGWY
Salle des Fêtes quartier Gouraincourt, rue Dreux
à l'occasion du 120 ème anniversaire de la création de la CGT organisé par l'Union Locale des syndicats CGT de Longwy.
"KarlMarx@LeRetour.com"
SAMEDI 31 OCTOBRE 2015
20H 30
Salle des Fêtes du village de Sainte Geneviève en Meurthe et Moselle (situé à 1 km de Loisy entre Metz et Pont-à-Mousson)
Cette soirée théâtre est organisée par l'association ARCHET
Entrée : 6,00 euros.
L'ensemble de la recette sera reversée à une association soutenant des projets solidaires dans une commune du Burkina Faso
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Article paru dans l'Est Républicain le 30 octobre 2015
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Article paru dans l'Est Républicain le 30 octobre 2015
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Une farce philosophique librement
adaptée et inspirée de la pièce « Karl Marx le retour », écrite par l’historien
américain Howard Zinn et publiée aux éditions Agone.
Avec :
• Jean-Luc L’HÔTE
• Anne CLAUSSE-WEINBERG
• Patrick BERTRAND
Mise en scène : Anne
CLAUSSE-WEINBERG
Lumières : Elisabeth DEMANGE
Durée du spectacle : 1h 10
« Karl Marx a obtenu une autorisation spéciale de l’administration céleste pour
revenir sur Terre pendant une heure.
« Mais attention, pas d’agitation ! » L’administration
lui a accordé un ange gardien musicien
pour le protéger, dit-elle, mais surtout pour surveiller son discours. Un
cafouillage bureaucratique et voilà Marx
à New York. Marx se raconte tantôt d’une manière joyeuse et ironique,
tantôt emporté par de saines colères face à l’humanité qui se dégrade. Il évoque sa vie à Londres avec sa femme Jenny et ses
enfants. Il parle de sa complicité avec son ami Engels et des débats d’idées
avec ses compagnons révolutionnaires contemporains réfugiés comme lui. Il
chante la Commune de Paris avec son ange gardien et sa compagne.
Un parti pris d’un Marx qui dévoile sa part d’humanité avec
humour comme autant d'antidote à la résignation. »
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